Le conjoint peut devenir associé ultérieurement à sa renonciation lors de l’apport en société de biens communs par son époux
- Par jurisactuubs
- Le 02/08/2024
- Dans Droit des sociétés
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(Cass.com., 19 juin 2024, n°22-15.851)
Dans un arrêt de cassation partielle en date du 19 juin 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation affirme que l’épouse qui a renoncé à sa qualité d’associée lors de l’apport de titres par son conjoint, peut tout de même le devenir si les associés y consentent à l’unanimité.
En l’espèce, un père et son fils créent un GAEC[1]. L’épouse du père est avertie de l’intention de son mari de faire un apport de biens de communauté, et elle refuse la qualité d’associée ; plusieurs articles des statuts le rappellent. Cependant, quelques années après, celle-ci demande aux associés à être agréée au sein du groupement, pour moitié des parts sociales dépendant de la communauté de biens entre elle et son époux. La décision est alors adoptée à l’unanimité dans un procès-verbal d’assemblée générale du 11 octobre 2012. En 2016, le conjoint assigne le GAEC en annulation de plusieurs assemblées, dont celle agréant son épouse.
Le 4 mars 2022, la Cour d’appel de d’Amiens déclare que l’épouse n’a pas valablement acquis la qualité d’associée du GAEC, et que l’assemblée générale de 2012 est nulle et de nul effet. Les décisions postérieures sont également annulées et les juges constatent la dissolution du groupement. Pour justifier sa décision, la cour d’appel retient qu’à la lecture des articles des statuts, la conjointe a renoncé clairement et sans réserves à revendiquer la qualité d’associée, sans pouvoir revenir ultérieurement sur cette décision.
L’épouse forme un pourvoi en cassation en affirmant d’une part, que le fait de ne pas revendiquer la qualité d’associée n’implique pas la renonciation à se prévaloir pour l’avenir de l’option de prendre part au capital. D’autre part, elle affirme que la renonciation ne fait pas obstacle à ce que les associés aient pu manifester une volonté contraire en l’agréant par une décision prise à l’unanimité en assemblée générale.
La Cour de cassation rejette la demande sur le premier moyen puisque même si les statuts ne mentionnent pas l’article 1832-2 du Code civil, ceux-ci stipulent explicitement que l’épouse a effectivement renoncé lors de la constitution du groupement, à revendiquer la qualité d’associée, sans qu’elle ne puisse revenir ultérieurement sur sa décision.
Néanmoins, la Haute Juridiction casse et annule sur le second moyen la décision d’appel, en application de l’article 1134 ancien du Code civil. La renonciation par l’épouse à sa qualité d’associée lors de l’apport de biens communs fait par son mari, ne fait pas obstacle à ce que les associés lui reconnaissent à l’unanimité, ultérieurement et à sa demande, cette même qualité.
La première partie de la solution énonce deux principes. L’un rappelant que l’épouse dispose d’une option lui permettant de renoncer ou non à la qualité d’associée des suites de l’apport de biens commun par son conjoint. Néanmoins, en cas de renonciation effective, celle-ci est définitive[2].
L’autre énonçant que l’article 1832-2 du Code civil peut ne pas être mentionné dans les statuts. Il convient alors que les dispositions statutaires concernant la renonciation soient « claires et sans réserves[3] ». Les magistrats semblent favoriser la liberté statutaire[4] dans ce cas précis, pourvu que la rédaction soit univoque.
Jusqu’à présent, l’arrêt n’innove pas dans son raisonnement, il faut se pencher sur la seconde partie de la solution pour voir que les juges admettent pour la première fois une exception à la renonciation définitive du conjoint de l’apporteur commun en biens. La Cour de cassation indique qu’une décision unanime des associés est nécessaire. En ce sens, elle fait une parfaite application de l’article 1134 ancien[5] du Code civil, en refusant à l'épouse de revenir unilatéralement sur sa décision.
L’agrément ultérieur du conjoint en tant qu’associé se comprend également par la lecture de l’article 1852[6] du Code civil concernant les sociétés civiles et auquel est soumis le GAEC. Cela ne contrevient pas non plus à l’article 1134 ancien du Code civil puisque c’est une décision prise par les associés et non l’épouse elle-même. Ce sont deux prises de décisions distinctes : l’une prise à tout moment par les associés et par vote particulier, tandis que l’autre ne peut se faire que durant un apport par l’époux de l’apporteur.
Il est toutefois possible de se demander si une telle solution des juges aurait été identique si la décision des associés avait été prise non pas à l’unanimité mais selon une majorité qualifiée[7] ?
Quentin SCOLAN
[1] Groupement Agricole d’Exploitation en Commun.
[2] Cass.com., 12 janvier 1993, n°90-21.126.
[3] Cass.com., 21 septembre 2022, n°19-26.203.
[4] Clara LAVIELLE, « Précisions inédites sur la clause statutaire de renonciation à la revendication de la qualité d’associé et le regime de la renonciation », LexisNexis, veille revue Droit des sociétés, n°7, juillet 2024 (en ligne).
[5] Notamment les alinéas 1 et 2 : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » et elles « ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ».
[6] « Les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l'absence de telles dispositions, à l'unanimité des associés. »
[7] « La renonciation à la qualité d’associé par le conjoint d’un associé peut ne pas être définitive », Francis Lefebvre, Bulletin Rapide de Droit des Affaires, n°-, paru le 1er août 2024 (en ligne).
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