Le secret professionnel de l’avocat écarté sous conditions pour des mesures in futurum

Cass. 1re civ., 6 déc. 2023, n° 22-19.285

Il arrive parfois que la collaboration entre un avocat et un client dégénère. En effet, la profession d’avocat est basée entièrement sur la confiance entre le client et l’avocat. Dans le cadre de cette collaboration, le client peut être amené à remettre des documents ou communications confidentiels à son avocat. Cette confiance demande une protection accrue. Elle est préservée par le secret professionnel prévue dans le Code de déontologie des avocats. Cependant, il arrive que le secret professionnel rentre en opposition avec le droit de la preuve. C’est exactement cette problématique qui a été soulevé dans notre arrêt.

En l’espèce, une société avait souscrit avec un avocat une convention de prestation juridique. La société a porté plainte pour abus de confiance le 19 mars 2019. La société estime que l’avocat a « commis un détournement de clientèle et une rétention de dossiers ». Dans le cadre de ce litige, sur requête, le président du tribunal judiciaire de Toulouse prend une ordonnance le 8 octobre 2020 désignant un huissier de justice pour aller avec un expert informatique au cabinet de l’avocat « à la recherche de documents et correspondances de nature à établir les faits litigieux ». Cette visite a eu lieu le 13 novembre 2020. L’avocat conteste cette visite et assigne la société en rétractation de cette ordonnance. Il estime que cette mesure in futurum[1] est contraire au secret professionnel.

La cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 10 mai 2022, donne droit à cette interprétation et décide de la rétractation de l’ordonnance ainsi que de la nullité des procès-verbaux établie lors de la visite. Elle estime que le secret professionnel empêche les mesures d’instructions prévues par l’article 145 du Code de procédure civile.

La société se pourvoit en cassation, arguant que la cour d’appel a commis une erreur en excluant d’office les documents pour cause de secret professionnel alors même que pour la société « il incombe au juge (…) de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ».

La Cour de cassation donne raison à la société requérante et casse l’arrêt de la cour d’appel. Pour fonder sa décision elle s’appuie sur le droit à un procès équitable établi par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cet article indique que chaque partie doit être en mesure de pouvoir apporter la preuve pour défendre ses intérêts.

La Cour de cassation se fonde aussi sur l’article 145 du Code de procédure civile qui prévoit les conditions pour des mesures d’instructions in futurum. D’après ce texte, les mesures doivent être limitées dans le temps et dans leur objet ainsi que proportionnées au but recherché.

Enfin la Cour de cassation cite l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 sur le Code de déontologie de l’avocat. La Cour de cassation estime que le secret professionnel s’appliquant au document d’un dossier n’est institué que « dans l'intérêt du client (…) et non dans celui de l'avocat ».

La Haute juridiction en déduit donc que le secret professionnel de l’avocat n’est pas « un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile » pour établir la faute de l’avocat. La première chambre civile a donc privilégié le droit de la preuve face au secret professionnel. Ce dernier se retrouve largement affaibli par cette décision. Cependant cet affaiblissement est tempéré par les trois conditions que la Cour a identifié pour que les mesures in futurum soient légales. Il faut qu’elles soient « indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en œuvre avec des garanties adéquates ».

Cet arrêt est dans la continuité d’une jurisprudence qui donne de plus en plus de place au droit de la preuve au détriment du secret professionnel[2] et vient aligner le secret professionnel de l’avocat sur la position de la chambre commerciale de la Cour de cassation concernant le secret bancaire[3].

Hugo SOUESME

Sources :

S. GRAYOT-DIRX, « Secret professionnel : des mesures d'instruction in futurum sous conditions », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 50-52, 18 décembre 2023, p.146

C. HÉLAINE, « Le droit à la preuve vient-il d'achever le secret professionnel de l'avocat ? », Dalloz actualité, 12 décembre 2023, https://dalloz.ezproxy.univ-ubs.fr/documentation/Document?id=ACTU0220705


[1] Mesures d’instruction prévue à l'article 145 du Code de procédure civile.

[2] Civ. 1re, 3 nov. 2016, n° 15-20.495 ; Civ. 2e, 29 sept. 2022, n° 21-13.625.

[3] Com. 29 nov. 2017, n° 16-22.060.

 
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