Focus sur le droit de l’environnement

Article publié le 13 février 2020

 

A une heure où l’urgence climatique occupe une grande place dans le débat public, le saisissement des enjeux environnementaux par le droit est une vraie question. Maître Thomas Dubreuil, avocat du barreau de Vannes spécialisé en droit de l’environnement, a accepté de répondre à nos questions.

 

Dans un premier temps, nous plaçons le contexte du droit de l’environnement, qui « est un droit assez récent : avant les années 1970, le droit ne s’était pas saisi de la protection de la nature. Initialement, la question était abordée sous l’angle des nuisances produites par certaines industries spécifiques (le textile par exemple), ou encore s’agissant des établissements dangereux et insalubres réglementés depuis le 19e siècle, mais il n’y avait pas du tout d’approche environnementale. La spécificité du droit de l’environnement est qu’il provient en très grande partie du droit européen, par le biais des directives et des règlements qui ont irrigué le niveau national et ont permis parfois à l’Etat d’évoluer un peu plus rapidement que s’il avait dû le faire seul ».

Nous faisons un point sur la transversalité de ce droit. « Historiquement, il s’agit plutôt d’un droit public, notamment avec le mécanisme des autorisations par le préfet ou le ministre, suite à des évaluations préalables qui appliquent le critère environnemental. Le droit de l’environnement a irrigué le droit de l’urbanisme, et le droit de l’environnement est principalement appliqué par le biais des autorités administratives. Il y a bien évidemment une composante pénale, le droit de l’environnement étant rattaché à l’intérêt général. Le procureur, qui est représentant de la société, va pouvoir mobiliser ses pouvoirs et poursuivre certaines infractions dès lors qu’il y a une violation environnementale ».

Mais le droit de l’environnement a également une composante civile : « il est rattaché au cadre de vie, ce sont les personnes qui subissent les préjudices d’une atteinte environnementale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il y a un débat autour de la qualification du préjudice écologique : qui peut s’en prévaloir ? Le préjudice moral des associations de protection de l’environnement doit pouvoir être indemnisé également : puisqu’elles œuvrent au quotidien pour protéger l’environnement dès lors qu’il y a une atteinte à l’environnement, cela génère un droit à réparation ».

Aujourd’hui, on perçoit un phénomène de retrait de l’autorité administrative, parfois pour des raisons de politiques locales (par exemple lorsqu’on décide de ne pas sanctionner un projet qui peut avoir un impact écologique négatif mais être important pour le développement d’une collectivité), plus souvent pour des raisons de moyens. Ce sont donc souvent les associations qui prennent le relais dans le cadre de recours civils en direct, où elles vont demander la cessations des pratiques portant atteintes à l’environnement. « Les acteurs privés se sont mobilisés parce qu’ils voient que l’Etat n’est pas forcément capable d’assumer la totalité de la charge de la protection de l’environnement ».

 

Nous avons interrogé Maître Dubreuil sur la possibilité de sanctionner la communication environnementale fallacieuse sur le terrain des pratiques commerciales trompeuses.

Rappelant que ce contentieux est assez marginal dans l’ensemble du contentieux environnemental, il explique cette situation par la difficulté de preuves en la matière. Cette difficulté est frappante lorsqu’une entreprise, axant une partie de sa communication sur le protection de l’environnement, fait des choix de sous-traitance à l’étranger qui n’apportent pas les garanties nécessaires pour que les produits soient réalisés dans des conditions environnementales et sociales satisfaisantes : il faudrait effectuer le travail d’investigation nécessaire, à l’étranger. Or, les parquets ont énormément de dossiers à traiter sur les atteintes environnementales et priorisent ce qui est directement en lien avec le territoire (pollutions, nuisances…).

Il souligne un deuxième problème : la sous-formation des services de la justice sur ces questions. Néanmoins, il voit une possible évolution au moyen d’une éventuelle spécialisation environnementale des magistrats, notamment préconisée par le rapport Une justice pour l’environnement[1] publié en début d’année. « Les juridictions auront alors la capacité de se saisir de ces questions et d’avoir une vision plus fine des enjeux et plus de contentieux pourront prospérer ».

S’il y a peu de jurisprudence en matière d’écoblanchiment, ou greenwashing, les outils juridiques existent.

La problématique entre communication et environnement se retrouve lors de violations directes, notamment lorsqu’une société continue de faire de la promotion pour un produit contenant une substance interdite. Ici, la preuve est plus facile à apporter, et la condamnation est possible, même si la société a retiré les publicités au jour de l’audience.

 

Nous poursuivons l’entretien autour de la question de l’autorégulation et de son efficacité ou non.

Selon Maître Dubreuil les mécanismes d’autorégulation sont importants. Les avis de l’Autorité de Régulation Professionnelle de Publicité (ARPP) par exemple « sont un premier signal qui peuvent être ensuite utilisés par certains acteurs au contentieux pour crédibiliser leur démarche. L’avis a finalement une portée juridique très intéressante ».  Mais, l’autorégulation n’est pas une fin en soi : « il y a encore besoin d’aller jusqu’à la condamnation de gros acteurs à des dommages et intérêts, pour faire l’exemple et que les autres comprennent qu’il y a une portée juridique ».

On assiste à une évolution de la société, « il y a une partie des acteurs qui ont compris que les enjeux avaient changé sur le plan économique et qui changent la manière de concevoir leurs produits ou proposent leurs services ». Mais, il y a également sans doute une partie « passager clandestin » qui profite d’une communication environnementale pour attirer la clientèle. « Il est difficile de jauger quand on ne dispose pas de tous les éléments techniques, mais on peut parfois être surpris du gouffre qui existe entre la communication et les choix de production adoptés ». Seulement, on ne peut établir de portrait systémique.

Le consommateur doit s’informer sur la démarche et le comportement de l’entreprise. « Une plus grande traçabilité qu’on ne retrouve pas ailleurs » peut être un indice. « Il faut de la transparence sur les contraintes que s’imposent l’entreprise en proposant une offre verte ou un produit biologique ». Afin d’aider le consommateur dans cette démarche, « le plus efficace serait sans doute un système de labels plus élaboré, avec un cahier des charges exigeant qui permette de classer les entreprises en fonction de leur impact environnemental, avec le maximum d’informations possible ».  

 

Enfin, nous interrogeons Maître Dubreuil sur les Schémas de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER) censés encourager les acheteurs publics à se responsabiliser, souvent perçus comme seulement un verdissement d’image.

Il nous rappelle que le mécanisme des marchés publics tel qu’il existe et provient du droit européen, empêche la prise en compte du facteur environnemental, puisqu’on ne peut pas prendre en compte le critère local lorsqu’on est sur un marché européen où la concurrence se fait au niveau global. « Il faudrait réformer le droit des marchés publics et le droit de la concurrence au niveau européen pour permettre aux Etats de prendre en compte des critères locaux ou environnementaux, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle ». En effet, les collectivités qui souhaiteraient prendre en compte le local pourraient avoir des contentieux de la part de concurrents évincés sur le fondement de la discrimination. On retrouve ici encore le côté politique du droit de l’environnement.

Il conclut que « cette situation est paradoxale, dans la mesure où le droit européen a d’abord permis de faire évoluer le droit de l’environnement en contraignant l’Etat de manière intéressante, alors que sur le plan économique et de la concurrence, on a l’impression qu’il est en train de venir ralentir un phénomène intéressant de relocalisation ».

 

Propos recueillis par Charlotte SALAÜN

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