La Charte du football professionnel écartée au profit du droit du travail dans le cadre d’une rupture de contrat après le refus de baisse de salaire

Cass. soc., 29 novembre 2023, n°21-19.282

 

La professionnalisation du domaine sportif prend de plus en plus d'ampleur. Les clubs de football sont soumis au droit commun du travail, comme toute entreprise française, mais également à la Charte du football professionnel, qui constitue la convention collective du secteur.

C'est dans ce cadre spécifique que la chambre sociale de la Cour de cassation a dû se prononcer, dans un arrêt du 29 novembre 2023, sur l'efficacité des dérogations au droit commun du travail par la Charte du football professionnel, en ce qui concerne la procédure et les motifs de rupture d'un contrat à durée déterminée d'un joueur professionnel.

En l'espèce, un club de football professionnel, suite à une relégation sportive, a proposé le 2 juin 2014 une baisse de salaire de 50% à un joueur sous contrat. Le joueur a refusé dans une lettre. Le club a pris acte de cette décision et a notifié à l’intéressé la fin de son contrat pour le 30 juin 2014. Le joueur a décidé de saisir le conseil des prud'hommes pour obtenir réparation née de la rupture de son contrat de travail.

La cour d'appel de Douai, dans un arrêt du 28 mai 2021, a donné raison au joueur, jugeant la rupture du contrat de travail non fondée et condamnant le club au versement de dommages et intérêts consécutifs à une rupture contractuelle abusive.

Le club s'est pourvu en cassation, estimant que la décision violait la Charte du football professionnel.

Tout d'abord, concernant la saisie du conseil des prud'hommes, la société sportive a opposé l'article 271 de la Charte du football professionnel disposant que "tous les litiges entre clubs et joueurs, notamment ceux (...) qui découlent du contrat, sont de la compétence de la commission juridique" de la ligue professionnelle. Cet article est complété par l'article 51, qui donne compétence à la commission juridique pour "tenter de concilier les parties en cas de manquements aux obligations découlant d'un contrat passé par un club avec un joueur". Le club interprète cette disposition comme une clause de conciliation obligatoire préalable à toute action judiciaire et estime l’action irrecevable.

En outre, sur le fond du litige, le club invoque l'article 761 de la Charte, prévoyant la possibilité d'une baisse de salaire en cas de relégation. Cette baisse peut concerner individuellement 50% du salaire pour les salaires les plus élevés. Selon la société sportive, cet article ajoute un cas de rupture du contrat de travail s'expliquant par la spécificité économique du football.

La chambre sociale de la Cour de cassation écarte ces deux moyens et rejette le pourvoi.

Tout d'abord, sur la recevabilité de l'action judiciaire, la Haute juridiction estime que l'article 271 de la Charte du football professionnel "n'institue pas une procédure de conciliation". Elle ne subordonne donc pas une action judiciaire à une procédure de conciliation devant la commission juridique de la ligue préalablement.

Cette interprétation est critiquable, car si l'article 271 ne mentionne pas directement la conciliation, l'article 51, traitant de la compétence de la commission juridique, prévoit très clairement la conciliation dans les litiges contractuels entre la société sportive et le joueur. De plus, elle ne tient pas compte de l'arrêt rendu par la chambre mixte de la Cour de cassation du 12 décembre 2014[1], selon lequel une clause de conciliation obligatoire contractuellement prévue s'impose au juge si les parties l'invoquent. Enfin, elle ne suit pas la volonté croissante du législateur d'imposer la conciliation comme solution alternative de règlement des litiges en matière de contrat de travail, comme le dispose l'article R.1471-1 du Code du travail.

Pour finir, sur le fond du litige, la chambre sociale rejette la cause d'annulation du contrat de travail prévue à l'article 761 de la Charte du football professionnel. Elle rappelle en effet que l'article L.243-1 du Code du travail, qui énonce les causes de rupture du contrat de travail, est d'ordre public. Ainsi, elle rappelle que la "Charte du football professionnel (...) ne peut déroger dans un sens défavorable au salarié". Cette position est constante, car elle avait été déjà formulée dans un arrêt du 10 février 2016[2]. Quant à la possibilité d'une modification contractuelle, elle l'écarte en affirmant que "sauf disposition légale contraire, une convention collective ne peut permettre à un employeur de procéder à la modification du contrat de travail sans recueillir l'accord exprès du salarié". Cette position est également constante en vertu du principe d'intangibilité du contrat prévu découlant de l'article 1103 du Code civil.

Hugo SOUESME

Sources :

D. JACOTOT, « Rupture du contrat de travail - L'inefficacité des dispositions d'une convention collective », La Semaine Juridique Social, n° 3, 23 janvier 2024, page n°1025.

F. LAGARDE, « La Charte du football professionnel une nouvelle fois retoquée », Jurisport 2024, n°248, p. 9.


[1] Cass. ch. mixte, 12 déc. 2014, n° 13-19684

[2] Cass. soc., 10 février 2016, n° 14-30.095

 
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