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  • La prime de précarité : une prime due même en cas de promesse d'embauche faite au salarié avant l'expiration de sa mission.

    Article publié le 15 novembre 2016

     

    L'article L1251-32 du Code du travail dispose que «lorsqu'à l'issue d'une mission, le salarié sous contrat de travail temporaire ne bénéficie pas immédiatement d'un contrat à durée indéterminée avec l'utilisateur, il a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité destinée à compenser la précarité de sa situation, que cette indemnité n'est pas due lorsqu'un contrat de travail à durée indéterminée a été conclu immédiatement avec l'entreprise utilisatrice ».

    Cette indemnité, plus habituellement appelée prime de précarité ou prime de fin de mission, est due aux salariés dont les relations contractuelles avec l'entreprise utilisatrice, ne seraient pas poursuivies. Ils toucheront ainsi un pourcentage de leurs revenus, ce qui doit leur permettre de compenser la précarité de leur situation.

    La chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt du 5 octobre 2016 a précisé les contours de cette notion, en se demandant, si la promesse d'embauche faite par l'entreprise utilisatrice au salarié avant l'expiration de sa mission, pouvait le priver de son indemnité.

    En l'espèce, un salarié intérimaire avait reçu de la part de la société utilisatrice une proposition d'embauche en CDI avant la fin de sa mission. Celui-ci n'a accepté cette proposition que neuf jours après l'expiration de son contrat temporaire. De ce fait, ne se considérant pas comme étant bénéficiaire immédiatement d'un contrat à durée indéterminée, il a alors réclamé la prime de précarité à la société utilisatrice. Cette dernière refusa le versement de la prime au motif que la promesse d'embauche, lui avait été envoyée avant la fin de sa mission, et que par conséquent, il pouvait se prévaloir d'un CDI immédiatement après la fin de son contrat temporaire. Le salarié saisit alors la juridiction prud'homale.

    Dans son arrêt du 16 octobre 2015, la cour d'appel de Toulouse avait débouté la société utilisatrice et l'avait condamnée au versement de la prime de précarité. Cette dernière a alors formé un pourvoi en cassation au motif que la cour d'appel avait violé l'article L1251-32 du Code du travail.

    La haute juridiction dans son arrêt du 5 octobre 2016 rejette le pourvoi et rappelle le principe posé par l'article L1251-32 du Code du travail. Elle retient que la proposition d'embauche ne vaut contrat de travail qu'une fois acceptée par le salarié. Or en l'espèce, ce dernier n'avait accepté cette proposition que neuf jours après la fin sa mission. De ce fait, il n'avait pas bénéficié d'un contrat à durée indéterminée immédiatement après la fin de son contrat temporaire et donc, il pouvait légitimement se prévaloir de la prime de précarité.

    Les juges du quai de l'horloge, retiennent ainsi que la proposition d'embauche faite au salarié, par l'entreprise utilisatrice avant la fin de sa mission, ne peut faire obstacle au versement de la prime de précarité. Pour exempter l'entreprise de son obligation, il faut une acceptation de cette proposition par le salarié. Elle rappelle ainsi les règles du consensualisme. Cela signifie qu'en cas de refus de la proposition du CDI par le salarié, l'entreprise sera tout de même tenue au versement de la prime de précarité, alors même qu'elle aurait démontré sa volonté d'engager le salarié en CDI.

    La solution adoptée par la Cour de cassation paraît sévère pour l'entreprise utilisatrice, d'autant plus que sa jurisprudence reste ambiguë en la matière. En l'espèce, elle considère donc que la promesse ne pouvait s'analyser comme un contrat de travail. Pourtant dans sa jurisprudence antérieure, elle a à de nombreuses reprises retenu que la promesse pouvait suffire à former le contrat de travail, dès lors qu'elle portait sur les éléments essentiels de la relation de travail (Cour de cassation, chambre sociale 15 décembre 2010 n°08-42.951). En retenant cette solution, on peut craindre des abus de la part des salariés qui, pour bénéficier de la prime de précarité, pourraient mettre un certain laps de temps avant d'accepter la proposition d'embauche. La solution ainsi posée par la jurisprudence pourrait susciter du contentieux.

     

    Camille Rio.

    Sources :

    - Marie PEYRONNET, Indemnité de précarité : la promesse d’embauche ne vaut pas conclusion immédiate d’un CDI, Dalloz actualité, Edition du 24 octobre.

    - Cour de cassation, Chambre sociale, 5 octobre 2016, 15-28.672

     

    - Cour de cassation, chambre sociale 15 décembre 2010 n°08-42.951

     

     

     

  • L’employeur, commettant, engage sa responsabilité civile en cas de harcèlement moral commis par ses préposés

    Article publié le 25 février 2019

     

    L’article 1242, alinéa 5, du Code civil dispose que « les maîtres et commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». Le contrat de travail constitue un lien de subordination de droit entre l’employeur et le salarié. Il existe une présomption de responsabilité du commettant du fait de son préposé, sauf si le premier démontre que le second a commis un abus de fonction. La jurisprudence retient une appréciation très large du lien entre la faute du salarié et ses fonctions afin que l’employeur soit reconnu civilement responsable des actes de son préposé, et que les victimes soient indemnisées.

    La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 13 novembre 2018, que lorsqu’un salarié est reconnu coupable de harcèlement moral, son employeur engage sa responsabilité civile pour le dommage causé à la victime.

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  • Transfert privé-public : précisions sur les contrats de travail

    Article publié le 21 février 2017

     

    L'article L1224-3 du code du travail ne cesse de susciter du contentieux malgré les diverses tentatives du législateur visant à son amélioration. La chambre sociale a eu l'occasion dans son arrêt du 1er février 2017 de rappeler l'étendue exacte des règles relatives au contrat de travail en cas de transfert du secteur privé au secteur public.

    En l'espèce, un salarié bénéficiait d'un contrat de travail avec une association dont la gestion a été reprise par une personne publique. De ce fait, elle avait proposé au salarié un contrat de droit public qu'il avait accepté. Cependant ce contrat avait été retiré par cette dernière au titre d'une erreur manifeste d'appréciation. La personne publique lui a alors proposé un nouveau contrat avec une rémunération inférieure mais celui-ci ne l'a pas accepté. Par conséquent, elle lui avait notifié son licenciement.

    Le salarié  a assigné l'établissement public aux motifs que son licenciement n'était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse et que la procédure de licenciement n'avait pas été respectée. La cour d'appel de Paris dans son arrêt du 13 mars 2015 a accueilli favorablement les requêtes de ce dernier.

    La question qui était posée aux juges du droit était de savoir si le fait de ne pas répondre favorablement au contrat proposé constituait une cause de licenciement réelle et sérieuse et si la procédure de licenciement, dans ce cas, devait être respectée.

    La Cour de cassation a pu se prononcer plusieurs fois au cours des derniers mois sur le transfert d'une activité privée à une personne publique et sur les conséquences que cela emportait sur les contrats de travail. L'article L1224-3 du code du travail a été consacré à la suite d'une décision de la CJUE appliquant le régime générale des transferts à la reprise d'une activité par une personne publique. Ainsi il dispose que « Lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires.

    Sauf disposition légale ou conditions générales de rémunération et d'emploi des agents non titulaires de la personne publique contraires, le contrat qu'elle propose reprend les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération ».

    Les dispositions de cet article restaient floues en la matière, c'est pourquoi la chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser les contours de la notion. Elle a ainsi estimé qu'en cas de transfert d'une activité à une personne publique, l'employeur doit notifier la rupture du contrat de travail. Néanmoins, le défaut de notification ne constituait qu'une irrégularité de forme n'ouvrant droit qu'à l'allocation de dommages et intérêts[1]. Par ailleurs, dans un arrêt important du 10 janvier 2017, les juges du droit ont rappelé que si le salarié refusait la conclusion du contrat de travail, ce dernier avait le droit à l'indemnité de préavis, mais que les règles relatives au licenciement et plus particulièrement à l'entretien préalable ne s'appliquaient pas[2]. Elle consacre l'idée ici qu'il s'agit d'une rupture sui géneris comme cela avait été évoqué dans son rapport annuel.

     

     Dans cet arrêt du 1er février 2017, les juges du quai de l'horloge confirment leurs décisions précédentes. Ils estiment dans un premier temps que la cour d'appel a violé le texte ci-dessus mentionné en ne retenant pas les conséquences du retrait du premier contrat et que le refus du second contrat constituait bien un motif de licenciement. Dans un second temps, les juges rappellent que si  la rupture produit de plein droit les effets d'un licenciement, les dispositions relatives à la convocation d'un entretien préalable ne sont pas applicables en l'espèce.

    La solution retenue est donc conforme aux décisions antérieures. Toutefois elle paraît sévère en l'espèce car le salarié avait eu connaissance d'un premier contrat lui proposant une rémunération plus importante, on peut comprendre aisément sa réticence à conclure le deuxième contrat.

     

     

    Camille RIO

     

    Sources :

     

     

  • L’engagement de la responsabilité pécuniaire d’un salarié à l’égard de son employeur. Cass., Soc. 25 janv. 2017

    Article publié le 22 février 2017

     

    Depuis 19581, la responsabilité du salarié envers son employeur n’est engagée qu’en présence d’une faute lourde. Au fur et à mesure, la cour de Cassation est venue préciser cette notion de faute lourde en y faisant ressortir une intention de nuire. Bien que ses différentes décisions en donnent une définition claire, la cour de Cassation vient ici en préciser les modalités d’application.

    En l’espèce, il s’agissait d’un conducteur de poids lourds ne disposant plus d’un permis de conduire valide en raison de l’expiration de son certificat médical d’aptitude. Ce dernier ayant poursuivi son activité de conduite a donc été licencié pour faute grave car ayant exécuté de façon déloyale son contrat de travail. Cependant, l’employeur a également exigé des dommages et intérêts, notamment au regard du risque important crée par cette exécution déloyale du contrat de travail. La cour d’appel a alors considéré que la faute grave du salarié justifiait son licenciement, mais également l’engagement de sa responsabilité pécuniaire. Cette considération a donc poussé le salarié à se pourvoir en cassation.

    Le moyen portant sur le licenciement n’étant que très peu discutable au regard de la loi et de la jurisprudence, la cours de cassation l’a écarté immédiatement.

    Le moyen portant lui sur la responsabilité et les dommages et intérêts a quant-à-lui, retenu plus grandement l’attention de la Cour qui tient alors le raisonnement suivant ; Dans la mesure où la cour d’appel a reconnu que le licenciement reposait sur une faute grave mentionnée dans la lettre de licenciement, celle-ci n’a pas fait mention de faits distincts susceptibles de caractériser une faute lourde. Afin d’appuyer sa décision, la cour de Cassation vise le principe selon lequel la responsabilité pécuniaire d’un salarié à l’égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde. Jusqu’ici, ce raisonnement suit la jurisprudence constante en la matière, cependant une nouvelle notion fait son apparition, celle des faits distincts de ceux mentionnés dans la lettre de licenciement. La cour de cassation semble indiquer qu’il serait nécessaire d’être en présence d’une part, de faits constitutifs d’une faute grave justifiant le licenciement, et d’autre part, des faits constitutifs d’une faute lourde justifiant l’engagement de la responsabilité pécuniaire du salarié envers son employeur. Ce point respecte l’idée de ne pas utiliser un même fait pour justifier à la fois une faute grave et une faute lourde

    Cependant, en l’espèce, l’ensemble des faits est porté à la connaissance de l’employeur au même moment. Il serait donc curieux de voir l’employeur distinguer telle ou telle partie des faits pour justifier deux procédures distinctes. D’autant plus que la règle d’unicité de la sanction disciplinaire du salarié par l’employeur impose que celui-ci épuise son pouvoir de sanction à l’égard de l’ensemble des faits dont il a connaissance2.

    ]. Le professeur Jean Mouly définit cette obligation comme une « présomption de pardon ». Cette idée est contradictoire avec le principe de faute distincte posé par la cour de Cassation. Comment l’employeur pourrait-il mettre en réserve certains faits pour caractériser une faute lourde tout en sachant que le licenciement pour faute grave épuise l’intégralité des faits connus ? Cela consisterait donc à dissocier les faits pour entraîner d’un côté la responsabilité pécuniaire ainsi que la sanction disciplinaire.

    Cette incohérence semble être traitée de manière différente selon la juridiction. Les juridictions du fond semblent être plus enclines à suivre les arguments des employeurs en faveur de la double poursuite. La cour de Cassation souhaite dans cet arrêt, rendre plus difficile l’application de la faute lourde des salariés, en ajoutant une nouvelle condition au côté de la faute intentionnelle, celle de « l'existence de faits, distincts de ceux visés par la lettre de licenciement, susceptibles de caractériser une faute lourde [...] alors qu'elle décidait, par un chef de dispositif que le rejet du premier moyen rend définitif, que le licenciement du salarié était fondé sur une faute grave »

    Cette décision complique alors l’engagement de la responsabilité pécuniaire des salariés envers l’employeur, ce qui représente un risque certain pour les PME, sensible aux erreurs de leurs employés et bien plus fragile que les grandes entreprises.

    GWENN DE CHATEAUBOURG

    Sources :

    http://dalloz-actualite.fr

    http://presentation.lexbase.fr

    Soc. 25 janv. 2017, FS-P+B, n° 14-26.071
     

    1Cass. soc., 27 nov. 1958, Sté des forges stéphanoises, Bull. civ. IV, n° 1259 ; Grands arrêts, n° 47

    2Cass. soc., 26 juin 2013, n° 11-27.413