Articles de jurisactuubs

  • L’impartialité de la justice et les réseaux sociaux

     

    « Un juge doit posséder quatre qualités : écouter avec courtoisie, répondre avec sagesse, étudier avec retenue et décider avec impartialité » - Socrate. C’est cette qualité que l’on retrouve au cœur de l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 5 janvier 2017.

    Résumé des faits :

    Dans cet arrêt, la Cour de cassation s’est prononcée sur le devoir d’impartialité du juge. Cette dernière avait été saisie du dossier d’un avocat du barreau de Paris qui faisait l’objet d’une procédure disciplinaire. Poursuivi devant le Conseil de l’Ordre des Avocats, il avait récusé plusieurs membres du Conseil, ainsi que le Bâtonnier en raison de leurs liens d’amitié avec la plaignante. Ce lien d’amitié était, selon lui caractérisé par le fait qu’ils soient « amis sur Facebook ». Une question s’est donc posée à la Cour de cassation. Le fait qu’un magistrat soit lié avec une partie par un réseau social suffit-il à remettre en cause le devoir d’impartialité qui incombe à la justice ?

    L’impartialité de la justice et sa protection :

    Ce principe est défini par l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il est également repris par l’article L111-5 du code de l'organisation judiciaire. Il s’agit donc d’une valeur très importante qui se doit d’être protégée. Pour se faire, il est possible de procéder à la récusation du juge qui manquerait à son devoir d’impartialité. En effet, grâce à l’article 341 du code de procédure civile, chacun peut demander, s’il a des raisons sérieuses et légitimes de croire à l’absence d’impartialité du juge, que celui-ci soit récusé, c’est-à-dire que lui soit retiré le droit de juger l’affaire en question.

    Cette récusation peut découler d’éléments objectifs liés aux parties, comme un lien de parenté ; d’éléments objectifs liés au juge lui-même, comme une croyance religieuse ou une conviction personnelle. Enfin, elle peut résulter d’éléments subjectifs, comme la manière de se comporter lors des débats, en ayant par exemple une attitude plus sévère avec l’une des parties.

    Réponse de la Cour de cassation :

    L’avocat en question s’est donc appuyé sur le devoir d’impartialité et la récusation qui lui est proposée pour motiver son pourvoi. L’argument utilisé ici est donc que l’existence d’un lien d’amitié sur un réseau social fait obstacle au devoir d’impartialité du juge et qui de ce fait, justifie la récusation.  La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt en date du 17 décembre 2015, avait déjà jugé que le seul fait que les personnes, objets de la requête, soient des « amis sur Facebook » ne constituait pas une circonstance justifiant la récusation.

    La Cour de cassation saisie du pourvoi a donc traité cette question en s’intéressant à ce lien d’amitié difficile à appréhender. Elle a estimé que « Le terme d’amis employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme ». Ce raisonnement fait de ce lien d’amitié, un élément qui n’est pas de nature à remettre en cause l’impartialité du juge et donc à en justifier la récusation.

    De plus, la Cour de cassation rappelle qu’il appartient aux juges du fond et à leur pouvoir souverain d’appréciation, de déterminer s’il existe de réelles relations d’amitié ; Cette appréciation devant se fonder sur un faisceau d’indices. Ces indices peuvent par exemple renvoyer à des échanges réguliers de messages, la participation à des événements communs ou bien même des photos.

     

    Cet arrêt prouve que les nouvelles technologies et le développement des réseaux sociaux n’ont pas fini d’être appréhendés par le droit. De nombreux sujets sont encore en débat, comme l’utilisation de Twitter par les magistrats, la protection de la vie privée sur Facebook ou encore le droit de la propriété intellectuelle sur YouTube. Ces sujets semblent faire l’objet d’une législation au cas par cas et la justice peine à suivre le rythme effréné du développement d’internet et de ses nombreuses pratiques.

    Gwenn DE CHATEAUBOURG

    Sources et références :

    Arrêt commenté :  5 janvier 2017 (16-12.394) - Cour de cassation - Deuxième chambre civile

    La récusation :  article 341 du code de procédure civile

    L’impartialité : article L111-5 du code de l'organisation judiciaire et article 6.1 de la CESDH

     

  • L'interprétation in abstracto de la notion de consommateur favorable à l'avocat aguerri

    Article publié le 17 décembre 2015

     

    L'article préliminaire du Code de la consommation dispose qu' « Au sens du présent code, est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. » (1)

    Cette notion de consommateur, assez simple en apparence, pose quelques difficultés en pratique, comme le démontre l'arrêt rendu par la Cour de Justice de l'Union Européenne du 3 septembre 2015 (2).

    En l'espèce, la quatrième chambre de la Cour devait statuer sur la qualité de l'avocat concluant un contrat de crédit sans rapport avec sa profession, mais dont la caution était liée à son activité professionnelle.

    La Cour décide que « L’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’une personne physique exerçant la profession d’avocat, qui conclut un contrat de crédit avec une banque, sans que le but du crédit soit précisé dans ce contrat, peut être considérée comme un « consommateur », au sens de cette disposition, lorsque ledit contrat n’est pas lié à l’activité professionnelle de cet avocat. La circonstance que la créance née du même contrat est garantie par un cautionnement hypothécaire contracté par cette personne en qualité de représentant de son cabinet d’avocat et portant sur des biens destinés à l’exercice de l’activité professionnelle de ladite personne, tels qu’un immeuble appartenant à ce cabinet, n’est pas pertinent à cet égard. »

    Dans cette affaire, l'attribution de la qualité de consommateur à l'avocat revêt une particulière importance puisqu'elle va conditionner sa protection face aux clauses abusives. En effet, cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige portant sur une demande de constatation du caractère abusif d'une clause de contrat de prêt. La protection contre ces clauses ne vaut que pour le consommateur, considéré comme la partie faible, non aguerrie au contrat. Précisément, le Code de la consommation définit les clauses abusives comme celles ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs (3). En guise de sanction, le législateur prévoit qu'elles seront écartées et considérées comme non-écrites.

    Au vu de cet arrêt du 3 septembre 2015, il semblerait que l'avocat concluant un contrat de crédit dont le remboursement est garanti par un immeuble appartenant à son cabinet, doit être considéré comme une partie faible.

    On peut penser que les Cours de justice françaises auraient rendu une décision similaire puisque notre jurisprudence ne s'attache plus à la sphère de compétence du professionnel, mais regarde désormais si la personne contracte pour sa sphère privée ou dans le cadre de son activité professionnelle. La notion de consommateur doit être interprétée de manière indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir, ou des informations dont cette personne dispose réellement.

    Cependant, même si le crédit a été contracté en dehors du cadre de l'activité professionnelle, on ne peut nier un certain lien avec celle-ci : le cautionnement a été contracté par l'avocat lui même en sa qualité de représentant de son cabinet et porte sur les biens destinés à son activité professionnelle.

    On comprend que les juges cherchent à protéger à tout prix la partie faible au contrat, mais peut on vraiment regarder un avocat comme un emprunteur lambda qui ne disposerait pas des connaissances nécessaires pour apprécier le caractère abusif d'une clause avant la signature de son contrat ? Doit on réellement le considérer ignorant quand bien même il s'avère que cet avocat est spécialisé en droit commercial ?

    La volonté jurisprudentielle française de ne plus vouloir parler de « rapport direct avec l'activité professionnelle » est révélatrice de cette ligne directrice du Code de la consommation qui cherche à protéger des abus opérés par les professionnels. Toutefois, cette interprétation in abstracto de la notion de consommateur semble aboutir à des situations un tant soit peu déraisonnables.

     

    Lucie PARIS

     

    Sources:

    (1) Créé par la Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 - article 3 

    (2) Cour de Justice de l'Union Européenne C-110/14, 3 septembre 2015

    (3) Article  L 132-1, al. 1 du Code de la consommation

  • Colloque : L'enjeu du contract management dans la stratégie de l'entreprise.

    Le Master 2 Pratique Contractuelle et Contentieux des Affaires de l'Université Bretagne Sud organise un colloque sur le contract management le vendredi 25 mars de 14h15 à 17h15.

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    Entrée libre

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  • Les réflexions envisagées sur une nouvelle manière de motiver les arrêts de la Cour de cassation

    En 2014, sous l’impulsion du Premier président Bertrand Louvel, un groupe de réflexion a été mis en place sur une éventuelle réforme de la Cour de cassation. Plusieurs groupes de travail ont été organisés : commission sur le filtrage, l’intensité du contrôle, la motivation, les études d’impact et le parquet général. Dans un souci de concision, on envisagera seulement les travaux portant sur une nouvelle manière d’aborder les motivations des arrêts de la Cour de cassation.

    Afin de respecter une meilleure lisibilité et la démocratisation de la compréhension des arrêts, le groupe de travail « Motivation » souhaite améliorer et clarifier la motivation des arrêts des juges du droit.

    La volonté de modifier les motivations des arrêts de la Cour de cassation n’est pas nouvelle. Plusieurs sources ont été retenues afin d’étayer les différentes possibilités de modification des arrêts de la Cour :

    • André Tunc et Adolphe Touffait ont, il y a 40 ans déjà, milités en faveur d’une motivation plus explicite des décisions de justice de la Haute juridiction.
    • Colloque sur le juge de cassation en Europe par l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avec le soutien de l’Association Henri Capitant et la Société de législation comparée.

    De nombreux universitaires ont été conviés afin de réfléchir sur les probables évolutions de la Cour de cassation. Ainsi, le 24 novembre 2015 le résultat d’un an, l’évolution des travaux a été exposée.

    La motivation succincte est la critique qui ressort le plus souvent sur l’aspect laconique de la rédaction actuelle. Les arrêts de la Haute Juridiction Civile revêtent soit un caractère disciplinaire soit un caractère normatif. Le changement dans les motivations tel que envisagé actuellement ne concernerait que les arrêts ayant un caractère normatif, à savoir :

    • les arrêts de principe,
    • les arrêts tranchant une divergence d’interprétation,
    • les arrêts opérant un revirement jurisprudentiel.

    Ainsi, la distinction entre les faits, la procédure et le développement du raisonnement seront mis en exergue afin d’être mieux compris par des non juriste. Des arrêts tests vont voir le jour.

    Dans son rapport, le Conseil d’Etat a écarté l’emploi d’une phrase unique afin de garantir une meilleure lisibilité au regard du langage courant contemporain. Toutefois, l’utilisation de point-virgule tout au long des arrêts de la Cour a été conservée pour, soi-disant, plus clarté. L’un des objectifs phares de cette réforme est de rendre plus accessible aux justiciables les différents arrêts de la Cour. Ce qui apparait comme étant un acte manqué car il s’agit d’une technique de rédaction éloignée de la ponctuation utilisée par le grand public.

    Mais, il semble que les signes typographiques ont été écartés afin que la doctrine ne fasse pas d’interprétation trop littérale de la décision.

    L’emploi du style direct a également été conservé, ce qui permet d’avoir une décision laissant moins de marge d’interprétation. 

    Les nouveautés concernent en fait, la numérotation des développements ainsi qu’une séparation formelle des parties ou encore l’utilisation d’intertitres ont été retenu afin de rendre plus lisible l’arrêt. A l’avenir, il semble que les arrêts auront plus de limpidité.

    La construction sous forme de syllogisme est conservée, la concision le restera également. En effet, bien que pèse sur la Cour de cassation une obligation de motivation, l’étendue de cette motivation n’a pas été précisée. (455 CPC).  Il n’a pas été jugé souhaitable d’adopter la même motivation que celle des arrêts de la Cour européenne.

    Enfin, les professeurs Cécile Chainais et Loïc Cadiet ont participé à ces groupes de réflexion. Pour l’instant, leurs travaux ne sont pas publiés tant que la réforme envisagée ne voit pas le jour ; il sera intéressant de les consulter.

    Elynn GOULLIANNE

    Sources :

    LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE SUPPLÉMENT AU N° 1-2, 11 JANVIER 2016

    P. Cassia, Filtrer l'accès au juge de cassation ? : D. 2015, p. 1361 

    B. Haftel, Libres propos sur l'avant-projet de réforme de la Cour de cassation et la fonction du juge : D. 2015, p. 1378.