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  • La concomitance d'un licenciement pour faute et d'une plainte pour des faits de harcèlement sexuel est insuffisante à la nullité du licenciement

    Cass. Soc., 18 octobre 2023 n°22-18.678

     

    Depuis de nombreuses années, la protection des salariés contre différentes formes de harcèlement est devenue une thématique importante du droit du travail. En effet, la présence d’un lien de subordination et d’un pouvoir de nuisance de la part de l’employeur peut créer un climat facilitant le harcèlement. Pour ce faire le législateur protège les victimes de harcèlement moral et sexuel ainsi que les salariés dénonçant ces pratiques à travers les articles L.1152-2 du Code du travail pour le harcèlement moral et l’article L.1153-2 pour le harcèlement sexuel.

     

    C’est dans ce cadre juridique que la chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 octobre 2023, a dû se prononcer sur le régime probatoire de cette protection et son encadrement.

     

    En l’espèce, une salariée est licenciée pour faute grave le 18 novembre 2019 par son employeur. Ce dernier justifie le licenciement par des « refus réitérés de la salariée d'accomplir certaines de ses tâches et à ses abandons de postes et actes d'insubordination ». La salariée demande la nullité de son licenciement, estimant que celui-ci était une mesure de rétorsion par suite d’une dénonciation de faits de harcèlement.

     

    La Cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 11 mai 2022, fait droit à la demande de la salariée en déclarant le licenciement comme frappé de nullité et condamnant la société au versement de diverses sommes. Elle estime que les faits reprochés à la salariée étaient concomitants à la plainte pour harcèlement sexuel déposée, et que "la dénonciation de harcèlement sexuel a pesé sur la décision de licenciement". Elle décide donc d’appliquer le régime de protection applicable aux personnes dénonçant des actes de harcèlement sexuel, peu importe les causes de licenciement avancées.

     

    La Cour de cassation casse l’arrêt des juges du fond au visa des articles L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du Code du travail et encadre la protection des salariés dénonçant des faits de harcèlement. Elle dégage deux hypothèses.

     

    Tout d’abord, si l’employeur a explicitement donné des causes légitimes et sérieuses au licenciement, c’est au salarié de prouver que le licenciement n’est qu’une mesure de rétorsion. Si ce n’est pas le cas, il appartiendra à l’employeur de démontrer que le licenciement n’est pas une mesure de rétorsion.

    Cette interprétation de la Haute juridiction ne résout que partiellement les problématiques sur le régime probatoire applicable. L’arrêt de cassation semble indiquer que la charge de la preuve revient au seul salarié. Cependant, dans ce cas, quel type de preuve peut-il fournir pour faire constater le lien de causalité entre la plainte pour harcèlement et le licenciement ? La preuve sera très compliquée à rapporter. Outre cette complexité, cette interprétation est étonnante vis-à-vis du régime probatoire en cas de licenciement après une dénonciation d’un délit ou crime. En effet, dans un arrêt du 7 juillet 2021, la chambre sociale avait admis qu’en cas de concomitance entre le licenciement et la dénonciation d’un délit ou crime, la charge de la preuve reposait sur l’employeur qui devait démontrer que le licenciement n’était pas fondé sur la dénonciation.[1] Or le harcèlement constitue bien un délit. Cette différence peut s’expliquer par l’existence en l’espèce d’une lettre de licenciement avec d’autres motifs pouvant justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

     

    En outre, l’article L.1154-1 du Code du travail, au visa de cette décision, sème le doute sur le régime probatoire applicable. Cet article concerne la preuve des faits de harcèlement et non la preuve du licenciement comme mesure de rétorsion d’une dénonciation. Précisément, il prévoit que le salarié doit apporter des éléments de fait prouvant le harcèlement et que c’est à l’employeur d’établir ensuite qu’ils ne sont pas constitutifs de harcèlement. Ainsi, pourrait-on imaginer que ce régime s’applique en cas de mesure de rétorsion après une dénonciation ? La question devra être précisée par la Cour de cassation. Il est cependant peu probable de voir appliquer ce régime au vu de l’interprétation de cette décision écartant en l’espèce la concomitance de la plainte et du licenciement comme élément de preuve de la nullité du licenciement.

    Le visa de l’article L.1152-2 qui concerne le harcèlement moral et non sexuel, indique d’ailleurs la portée générale de l’arrêt qui se verrait applicable à tout type de harcèlement.

     

    Hugo SOUESME

    Sources :

    F. GABROY, « Quelle preuve de la cause réelle d'un licenciement concomitant à la dénonciation d'un harcèlement ? », Dalloz actualité, 9 novembre 2023

    N. FARZAM et C. RODRIGUEZ, « Le licenciement concomitant à une dénonciation de harcèlement moral ou sexuel n'est pas automatiquement nul », La Semaine Juridique-Social, n° 48, 5 décembre 2023, pages 1325

    S. TERZIAN, « Nullité du licenciement intervenu dans un contexte de harcèlement sexuel dénoncé par le salarié : précisions sur les exigences probatoires », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 50, 14 décembre 2023, pages 1114


    [1] Cass. soc., 7 juillet 2021, n° 19-25.754

  • L’appréciation du caractère lésionnaire d'un partage

    Cass. 1re Civ., 25 oct. 2023, n° 21-25.051

     

    Dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 25 octobre 2023, la Cour de cassation précise les modalités d’appréciation du caractère lésionnaire d’un partage.

    En l’espèce, des époux mariés sous le régime de la séparation de biens ont procédé, le 28 octobre 2003, après le prononcé de leur divorce, à un acte de partage pour régler le sort d’un immeuble indivis. L’acte a été réalisé en faveur de l’ex-époux, qui se devait, en échange de l’attribution de sa propriété, payer une soulte à son ex-épouse. De surcroît, la coindivisaire y admettait une créance de son ex-époux envers l’indivision compte tenu de travaux réalisés sur l’immeuble qu’il avait payés à l’aide de ses deniers personnels. L’immeuble réhabilité avait ensuite été cédé un an plus tard. Mais, son prix de vente, mentionné dans l’acte de partage en octobre 2023, était supérieur au prix pratiqué en réalité.

    L’ex-épouse a donc assigné son ex-conjoint en rescision pour lésion sur le fondement des articles 887, alinéa 2, et 890 du Code civil[1].

    Un expert a été missionné afin d’estimer la valeur de la maison sur le marché immobilier au jour du partage. Selon l’expertise rendue, il existait un écart de plus d’un quart de la totalité du prix. La Cour d’appel de Bordeaux[2] a retenu la lésion et a donc condamné l’ex-époux à payer cet écart de prix.

    Ce dernier s’est défendu en cassation, en arguant que dès lors qu'un indivisaire a amélioré à ses propres frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon le principe de l’équité. Il convient, selon lui, de s’attacher uniquement à la plus-value apportée à ce bien pour apprécier le caractère lésionnaire de l’acte et non pas au caractère nominal de la dépense[3].

    La Cour de cassation[4] décide que le caractère lésionnaire du partage litigieux doit s'apprécier à l'aune de la créance de l’époux telle que mentionnée dans l’acte de partage. Elle souligne tout d’abord que les parties ont mentionné dans l'acte que, s'agissant de la créance de l’époux, elles s'abstenaient de rechercher si ceux-ci avaient permis d'augmenter la valeur du bien, et qu’elles s'en tiendraient ainsi à la valeur nominale des dépenses faites. La Haute juridiction précise néanmoins que bien que les époux aient mentionné cette spécificité dans leur acte, il faut apprécier la valeur du bien immobilier au jour du partage selon les règles de l’article 815-13 du Code civil. Elle censure donc partiellement la décision des juges du fond.

    Cette solution, qui n’est pas nouvelle[5], est protectrice de la partie qui a contribué à l’amélioration du bien et lui permet de bénéficier de la plus-value qu’il a apportée[6]. Il est à relever que les décisions relatives à la temporalité de l’appréciation du caractère lésionnaire du partage sont peu fréquentes, Si la Cour de cassation avait apporté de nombreuses précisions sur des situations voisines, telles que l’importance de reconstituer à la date de l’acte litigieux, la masse à partager dans tous ses éléments actifs et passifs lorsqu’il était question d’un prêt à réintégrer dans l’acte de partage[7], elle s’est rarement prononcée sur ce point de droit précis.

    Rappelons que l’appréciation du caractère lésionnaire est d’autant plus difficile qu’il est courant et licite qu’un partage soit forfaitaire et inégal. En effet, du fait notamment de l’apparition de la procédure de divorce par consentement mutuel, les époux sont parfois volontaires à se faire léser dans l’acte de partage pour accélérer et simplifier la procédure. La part de culpabilité dans un divorce peut aussi parfois interférer.

                                                                                                              Léna RABILLARD

    SOURCES :

    • SUVEICO A., « Le caractère lésionnaire du partage d’un bien indivis doit s’apprécier à l’égard de sa valeur au moment du partage », (en ligne), Revue Lamy Droit civil, Lamyline, N°220 du 1er décembre 2023, (consulté le 10 décembre 2023)

    • « L’appréciation du caractère lésionnaire d’un partage », (en ligne), La Semaine Juridique Notariale et Immobilière, LexisNexis, N°45 du 10 novembre 2023, act. 1103 (consulté le 10 décembre 2023)

    • JAOUL M., « Des modalités de l’appréciation du caractère lésionnaire du partage », (en ligne), Dalloz actualité, Dalloz, 9 novembre 2023, (consulté le 10 décembre 2023)


    [1] Dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006.

    [2] Bordeaux, 14 sept. 2021, n° 18/06470.

    [3] Ainsi qu’exprimé dans l’article 815-13 du Code civil.

    [4] Au visa des articles 815-13, alinéa 1er, 887, alinéa 2, et 890 du Code civil, (ces deux derniers dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006).

    [5] Civ. 1re, 5 mars 1991, n°89-18.311.

    [6] Civ. 1re, 7 avr. 1998, n° 96-15.015.

    [7] Civ. 1re, 18 mars 2015, n° 14-10.730.

  • La réforme du droit des marques

    Suite à de nombreuses années de réflexion sur l'harmonisation et la modernisation du droit des marques dans l'Union Européenne, la réforme du droit des marques a été adoptée le 15 décembre 2015 au Parlement Européen. Elle vise à rapprocher les législations des Etats membres en remodelant la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 et révise l'ensemble des dispositions du Règlement (CE) No 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire. A ce propos, l'expression « marque communautaire » est remplacée par « marque de l'Union européenne ».

    Cette réforme vient bouleverser l'acception de la marque. En effet, l'article L 711-1 du Code de la propriété intellectuelle définit la marque comme étant : « La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale ». Cependant, le 13e point in fine de la Directive du 2015/2436 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 16 décembre 2015 énonce que « Un signe devrait donc pouvoir être représenté sous n'importe quelle forme appropriée au moyen de la technologie communément disponible, et donc pas nécessairement par des moyens graphiques, du moment que cette représentation offre des garanties satisfaisantes à cette fin. » Initialement, la marque olfactive a été rejetée en France. Avec la transposition de la Directive à venir, cela signifie que l'enregistrement d'une marque, notamment, olfactive sera admise.

    La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes dans l'affaire « Sieckman » en 2002 a admis que peut constituer une marque olfactive un signe qui n'est pas lui-même susceptible d'être perçu visuellement, à la condition qu'il puisse faire l'objet d'une représentation graphique. La formule chimique concernant le signe olfactif ne répondait pas, à l'époque, aux exigences de la représentation graphique. Ainsi, avec la réforme, on peut penser qu'une telle formule soit admise car la représentation graphique n'est plus une condition de validité de la marque.

    Pour autant, cette réforme semble à l'heure actuelle difficile à mettre en place. Les modalités de dépôt concernant l'enregistrement d'une marque, notamment française, prévoient la remise en 5 exemplaires auprès de l'INPI comportant : la demande d'enregistrement, le modèle de la marque, l'énumération des services déposés par la marque et l'énumération des classes correspondants. Dès lors, compte tenu de l'aspect technique, il est difficile voir impossible de faire figurer une marque olfactive ou une marque gustative. Apposer une odeur ou un goût sur le formulaire ne semble pas ici pertinent.

    Cette réforme semble également théorique au regard du principe de disponibilité de la marque prévu à l'article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle. Pour que le signe soit disponible, il ne doit pas avoir été approprié par un tiers soit au titre de la concurrence soit au droit d'auteur par exemple.

    La recherche d'antériorité étant impérative, la recherche sur les bases de données de l'INPI et de l'OHMI devenant, par la réforme, l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle, seront difficiles à faire et cette difficulté sera également accentuée concernant la comparaison entre les signes. A l'heure actuelle, la recherche olfactive par internet semble compromise car les ordinateurs ne disposent pas d'une telle fonction. Ainsi, il faudra, sans doute, se rendre dans les locaux de l'INPI ou de l'OUEPI pour faire de telles recherches. De même, de tels échantillons de flagrance devront être entreposés et être conservés dans des conditions spécifiques. Ceci nécessite donc l'aménagement d'entrepôt et, sans aucun doute, de travaux conséquents. Cette réforme nécessite donc de nombreux aménagements pragmatiques tant dans les locaux que dans le dépôt des marques.

    Elynn GOULLIANNE

    Sources

    Manuel Roche, L’Union européenne réforme le droit des marques. Village Justice

    Gwladys Tournier, La fin de la « représentation graphique » : nouvelles perspectives européennes en droit des marques.Village Justice.

  • Une partie revendiquée commune par le syndicat de copropriété peut être acquise par usucapion

    Article publié le 21 novembre 2015

     

    Civ. 3e, 8 oct. 2015, FS-P+B, n° 14-16.071

    La propriété peut sacquérir par le jeu de lusucapion. Lusucapion, ou prescription acquisitive, est définie à larticle 2258 du Code civil comme étant « un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ». Larticle 2272 du même code est la règle de droit rappelée par les juges du droit afin de casser larrêt dappel, celui-ci dispose que « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans ».

    Une décision novatrice a été récemment rendue par la Cour de cassation en matière de prescription acquisitive concernant une partie, à lorigine, privative dun immeuble. Les juges du droit cassent larrêt de la cour dappel de Reims du 4 février 2014, au visa de larticle 2272 précité, en constatant que les syndicats (de copropriétaires en lespèce) pouvaient bénéficier au même titre que les personnes physiques de la prescription acquisitive de 30 ans, pour acquérir la propriété dun lot. En lespèce, un propriétaire divise puis vend un immeuble en lots. Un lot comprenant un garage fait lobjet dune vente ultérieure avec lun des copropriétaires. Le syndicat se prévaut de lacquisition du lot par prescription trentenaire et assigne la partie venderesse afin dobtenir l'annulation de la vente du lot litigieux.

    N'est pas revendiqué ici le caractère privatif du lot en question mais bien son caractère commun. En effet, selon le syndicat le lot correspond au garage à vélo utilisé par les copropriétaires depuis plus de 30 ans (prescription acquisitive trentenaire). La première question se situe au niveau de la capacité et des pouvoirs du syndicat à revendiquer une telle acquisition. Lobjet dun syndicat des copropriétaires est celui de conserver et dadministrer limmeuble en copropriétéMais les juges du fond rappellent leffet rétroactif de la possession : « la propriété est censée remonter, non pas au jour où la prescription a été acquise ou invoquée, mais à celui où elle a commencé à courir, cest-à-dire au début de la possession ». Ainsi puisque le lot litigieux a déjà acquis la qualité de partie commune, le syndicat agit en défense de celle-ci, et on ne peut dès lors lui reprocher une incapacité dagir. Il parait important de relever que dorénavant une personne morale, le syndicat, pourra acquérir la propriété dun immeuble non pas par sa propre possession mais par celle des copropriétaires, ceux ayant utilisé le garage à vélo, donc de manière indirecte, et dans le but d’évincer lun des copropriétaires au profit dune partie dentre eux. En effet, dans cette hypothèse le jeu de la prescription sanctionne à la fois le propriétaire négligent dorigine et lacquéreur copropriétaire.

    Finalement, larrêt fait apparaitre clairement la supériorité du droit de propriétéà valeur constitutionnelle, rappelons-le, au profit dun syndicat au titre dune collectivité de copropriétaires. Le droit commun de lusucapion prévaut également sur les règles du droit de la copropriété, et, notamment, sur larticle 26 de la loi du 10 juillet 1965 en vertu duquel le syndicat des copropriétaires ne pourrait, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire la transformation en partie commune dune partie privative.

    La modification de la destination des lots sans le vote ou le consentement des copropriétaires semble ainsi jouer en faveur de la majorité. Mais pour autant tout nest pas réglé. Il faudra notamment répartir les nouvelles charges et apporter des modifications dans les actes de copropriété, qui se fera par le vote en assemblée générale.

    Anne-Lise Becq

    Sources :

    - Me Finalteri, Christian. « Aucune disposition ne soppose à ce quun syndicat de copropriétaires acquière par prescription la propriété dun lot ».

    Le Rudulier, Nicolas. « Usucapion dune partie privative par le syndicat de copropriété », Dalloz Actualité.

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