Articles de jurisactuubs

  • L’indifférence du caractère continu du délit de contrefaçon au plan civil

    Cass. 1 ère civ., 15 nov 2023, n°22-23.266,F-B

     

    Le 15 novembre 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet précisant le point de départ du délai de prescription de l’action civile en contrefaçon.

    En 1985, un sculpteur, sollicité par le fondateur du Musée du cheval situé aux Grandes écuries de Chantilly, a créé une œuvre destinée au musée, intitulée « Fontaine aux chevaux ». Cette dernière consistait en une sculpture monumentale représentant trois chevaux dans une demi-vasque circulaire.

    Plusieurs reproductions non autorisées de cette œuvre ont été réalisées. L’une d’entre elles, dont le caractère contrefaisant a été reconnu par un arrêt irrévocable en date du 17 décembre 2008 rendu par la Cour d’appel de Paris, a été exposée dans les jardins d’une société spécialisée en gestion des jardins botaniques.

    Le 5 mars 2021, l’artiste assigne en référé le fondateur de la société exposant la sculpture, en contrefaçon afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte à ses droits et afin d’obtenir la réparation de son préjudice. En réponse, la société défenderesse oppose une fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du Code civil.

    Par un arrêt datant du 22 septembre 2022, la Cour d’appel de Douai déclare irrecevables les demandes de l’artiste en précisant que la prescription applicable à cette action civile en contrefaçon est la prescription quinquennale, de droit commun, et que son point de départ devait être fixé au 17 décembre 2008, date à laquelle le caractère contrefaisant de l’œuvre exposée avait été reconnu. Ainsi, l’action intentée le 5 mars 2021 était prescrite, même si la contrefaçon s’inscrivait dans la durée.

    L’artiste se pourvoit en cassation. Il soutient que l’action visant à faire cesser lesdites atteintes n’est sujette à aucun délai de prescription, la propriété ne s’éteignant pas par le non-usage.

    La Haute juridiction devait se prononcer sur la délicate problématique du point de départ du délai de prescription de l’action civile en contrefaçon de droit d’auteur.

    Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation rappelle dans un premier temps que la prescription des actions civiles en contrefaçon de droit d’auteur est régie par l’article 2224 du Code civil disposant que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. » En effet, le droit de la propriété intellectuelle ne prévoit pas de délais spécifiques concernant la prescription de l’action civile en contrefaçon, laissant ainsi place à l’application du droit commun.

    Dans un second temps, approuvant le raisonnement des juges du fond, la Cour de cassation soutient que le délai de prescription de l’action en contrefaçon doit débuter à la date à laquelle le caractère contrefaisant de l’œuvre a été reconnu, même si la contrefaçon perdure dans le temps. Cette approche se distingue nettement de la philosophie protectrice et personnaliste du droit d’auteur en France, illustrant une interprétation rigoureuse de l’article 2224 du Code civil.

    Par ailleurs, l’admission d’un point de départ statique, fixé au jour où le caractère contrefaisant est établi oblige le demandeur à agir rapidement dans la mise en œuvre de l’action civile, sous peine de se voir opposer une fin de non-recevoir fondée sur la prescription quinquennale.

    Cette solution, bien que pour la première fois appliquée au cas d’une action en contrefaçon, n’est fondamentalement pas nouvelle sur le plan juridique. La Cour de cassation avait déjà adopté une solution identique dans le contexte d’actes continus de concurrence déloyale, comme en atteste un arrêt rendu par la chambre commerciale en date du 26 février 20201.

    Eva THÉBAULT

    Sources :

    - Cass. 1reciv., 15 nov 2023, n°22-23.266,F-B.

    - Article 2224 du Code civil.

    - C. HELAINE, De la prescription extinctive applicable à l’action civile en contrefaçon, Dalloz Actualité, 21 novembre 2023. Disponible sur : De la prescription extinctive applicable à l’action civile en contrefaçon - Affaires | Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr)

    - H. ABITBOL, Action en contrefaçon de droit d’auteur et point de départ de la prescription en présence d’un délit continu, LexisNexis, 16 novembre 2023. Disponible sur : Action en contrefaçon de droit d’auteur et point de départ de la prescription en présence d’un délit continu | Lexis Veille



     

    1 Com. Cass. 26 février 2020 n° 18-19. 153

  • Inopposabilité du délai de prescription biennale en cas d’absence de précision contractuelle en matière assurantielle

    Cass.com., 22 novembre 2023, n°22-14.253, publié au bulletin

     

    Dans un arrêt du 22 novembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a indiqué, qu’à défaut de rappeler les dispositions d’ordre public sur la prescription des actions dérivant des contrats d’assurance, les assureurs ne peuvent se prévaloir de la prescription biennale commune à ces contrats.

    En l’espèce, une SAS fait procéder à la rénovation d’une péniche pour le convertir en péniche-restaurant en 2012. Un salarié d’une société intervenant sur le chantier est victime d’un accident. La société l’employant assigne en 2016 la SAS exploitant la péniche en indemnisation des préjudices. Cette dernière, qui avait conclu en 2010 un contrat d’assurances maritimes corps et dont la couverture avait été étendue à la transformation et l’aménagement du bateau en 2011, assigne alors ses assureurs en garantie.

    Dans un arrêt du 1er février 2022, la Cour d’appel de Paris refuse cet appel en garantie de l’assurée, au motif que les dispositions du contrat d’assurance comprenaient un délai d’action de deux ans à compter des faits dommageables, l’action étant prescrite. La SAS forme un pourvoi en cassation. La SAS soutient que n’ayant pas souscrit une police d’assurance maritime, son action est soumise aux règles de prescription de l’article L. 114-1 du même Code et que, le contrat ne contenant aucune stipulation relative à la suspension ou d’interruption de la prescription, cette prescription abrégée lui était inopposable.

    Le problème posé par cette affaire est de savoir si le risque maritime découlant de la qualification contractuelle est caractérisé, et subsidiairement, d’observer si l’appel en garantie des assureurs est prescrit pour la SAS.

    La Cour de cassation casse la décision des juges du fond au visa de dispositions d’ordre public[1] pesant sur les assureurs lors de la rédaction de contrats d’assurance.

    Dans un premier temps, et par rappel des articles du Code des assurances[2], la Haute juridiction décide que le contrat d’assurance ne concerne pas un risque maritime. La dénomination du contrat en cause est celle d’un « contrat d’assurances maritimes corps ». Néanmoins, les dispositions protégeant des risques lors des travaux sur la péniche relèvent d’un avenant à ce contrat. Or, cet avenant ne mentionne pas que le dommage doit provenir d’un risque maritime. Il est donc à considérer que puisque les travaux ne se sont pas produits au cours d’une navigation, ses dispositions doivent comprendre les règles d’ordre public car elles n’entrent pas dans le champ d’un contrat d’assurance maritime. La qualification contractuelle d’ensemble est inchangée mais les juges semblent séparer les dispositions d’origine de celles de l’avenant. Le but étant de les sortir du champ de l’exception des contrats maritimes non soumis à l’obligation pour les assureurs d’informer sur les modalités de prescription.

    Dans un second temps, la Cour de cassation indique que le délai d’action de la SAS n’est pas prescrit. En écartant le risque maritime comme circonstances du dommage, les modalités de l’action pour l’assurée auraient dû être précisées dans le contrat. Cela concerne tant le point de départ de l’action[3], que ses causes d’interruption ou de suspension[4]. Par ce manquement, l’assuré est libre d’agir selon un point de départ qu’il aura librement déterminé. En effet, si des règles impératives manquent au contrat, les assureurs ne peuvent s’en prévaloir faute d’information délivrée à l’assuré et surtout à défaut de son accord. Il découle de la solution que ces dispositions doivent être écrites afin que chacune des parties puissent s’en prémunir.

    Finalement, cette décision apparait en faveur de l’assuré, sans doute car le délai de deux ans est court pour agir contre l’assureur, l’assuré étant considéré comme une partie faible au contrat[5]. Elle s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel établi[6] mais dont les effets sur la prescription restent à nuancer, notamment sur une possible imprescriptibilité de l’action biennale en matière assurantielle.

    Quentin SCOLAN     

     


    [1] C.assur., art. R. 112-1.

    [2] Ibid. ; C.assur., art. L. 171-1, 1°.

    [3] C.assur., art. L. 114-1.

    [4] C.assur. art. L. 114-2.

    [5] Didier KRAJESKI et Philippe LE TOURNEAU, « assurance de choses », chapitre 5111.221, « délai », Dalloz action Droit de la responsabilité et des contrats, 2023-2024 [en ligne].

    [6] En ce sens, Cass.civ.2ème, 9 décembre 2021, n°19-23-227 ou Cass.civ.2ème, 9 février 2023, n°21-498.

  • C’est au jour de la résiliation unilatérale du contrat que doit s’apprécier le sort de la condition suspensive

    (Cass. civ. 3e , 14 sept.2023, n°22-18.642)

    Le 14 septembre 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet précisant le moment où doit être apprécié le sort d’une condition suspensive dans un contrat comportant une clause de résiliation unilatérale.

    Dans cette affaire, une personne physique a conclu un contrat de maîtrise d'œuvre le 24 octobre 2017 avec une société d'architecture. Ce contrat visait à réaménager la résidence personnelle du maître de l’ouvrage et à mettre en conformité son cabinet médical avec les normes d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Le contrat incluait une clause autorisant la société à résilier unilatéralement le contrat, ce que cette dernière a fait le 12 juin 2018.

    Selon l’article L.313-42 du Code de la consommation, lorsque le contrat stipule que le paiement se fera sans avoir recours à un prêt, l’acheteur doit indiquer qu’il reconnaît avoir été informé que s’il recourt à un prêt, il ne pourra pas bénéficier des dispositions légales. En l’absence de cette mention, et si un prêt est néanmoins demandé, le contrat est considéré comme conclu sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt.

    Le particulier, maître de l’ouvrage, prétend que le contrat de maîtrise d’œuvre ne comporte pas la mention précitée. Ainsi, ce contrat devrait être considéré comme conclu sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt pour financer les travaux. Or, à la date de la résiliation du contrat, le maître de l’ouvrage n’avait pas encore obtenu son prêt. En conséquence, il sollicite le remboursement des honoraires versés ainsi que le rejet des demandes de la société d’architecture visant au règlement du solde de ses honoraires.

    La Cour d’appel fait droit à sa demande en retenant que le contrat était conclu sous condition suspensive d'obtention d'un prêt, lequel n'a été accordé qu'en 2020, après la résiliation du contrat. La société d’architecture se pourvoit en cassation en arguant que lorsqu’un engagement est affecté d'une condition suspensive sans terme fixe, il ne peut prendre fin unilatéralement et subsiste jusqu'à la défaillance de la condition. Ainsi, ledit contrat ne peut être résilié par la seule volonté de la société, et le fait que le maître de l’ouvrage ait ultérieurement obtenu un financement signifie que la condition n’avait pas échoué.

    Dans un premier temps, la Haute juridiction affirme que le contrat de maîtrise d’œuvre est bien soumis à la condition suspensive de l’obtention d’un prêt, en application de l'article L.313-42 du Code de la consommation.

    Deuxièmement, la Cour de cassation rappelle la règle selon laquelle un engagement affecté d'une condition suspensive sans terme fixe subsiste aussi longtemps que la condition n'est pas échue et ne peut prendre fin par la volonté unilatérale de l'une des parties.

    Par dérogation, la Cour précise que cela ne prive pas les parties du bénéfice des stipulations du contrat prévoyant une faculté de résiliation unilatérale. Dans cette situation, le sort de la condition s'apprécie à la date de la résiliation. Cette solution s’inscrit dans une logique temporelle: la résiliation du contrat oblige à apprécier le sort de la condition à cette date. Au-delà de cette date, le contrat résilié ne pourra évidemment plus inclure ladite condition. En d’autres termes, si la condition n’est pas remplie à la date de la résiliation, elle est considérée comme définitivement défaillie. Par conséquent, la réalisation ultérieure de la condition devient indifférente.

    En l’espèce, la société d’architectes a résilié le contrat alors que la condition suspensive n'était pas encore réalisée. En vertu de l'article 1304-6 alinéa 3 du Code civil, en cas de non-réalisation de la condition, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé. Par conséquent, les honoraires versés par le maître de l'ouvrage doivent être restitués.

    Eva THÉBAULT

    Sources :

    - Cass. civ. 3e , 14 sept.2023, n°22-18.642.

    - L. 313-42 du Code de la consommation.

    -C. HELAINE, « Condition suspensive et faculté de résiliation unilatérale », Dalloz Actualité, 19 septembre 2023.

    - H. PLANCKAERT, « Condition suspensive sans terme fixe : une faculté de résiliation unilatérale peut être prévue mais le sort de la condition s’appréciera à la date de la résiliation », Lamyline, 19 septembre 2023.

    - M. HERVIEU, « Condition suspensive et résiliation unilatérale du contrat », Dalloz Actualité Etudiant, 6 oct 2023.

  • La Cour de cassation rappelle, encore et toujours, la survie de la personnalité juridique d’une société pour assurer les besoins de sa liquidation

    Cass. com. 20 sept. 2023, n°21-14.252

     

    Dans un arrêt rendu le 20 septembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle une fois de plus le principe de survie de la personnalité morale d'une société dissoute pour les besoins de la liquidation de ses droits et obligations à caractère social, en dépit de sa radiation au RCS.

    Par cet arrêt de cassation publié au Bulletin, les magistrats du quai de l'Horloge martèlent vigoureusement ce principe de droit commun des sociétés.

    Au cœur de cette affaire se trouve une société à responsabilité limitée immobilière, ayant acquis en décembre 2007 le droit au bail portant sur un local commercial.

    Le 19 mai 2016, la société preneuse donne congé au propriétaire du local commercial. Quelques mois plus tard, le bailleur assigne la société en paiement des loyers et des charges impayées ainsi qu’en remise en état du local donné à bail. Suite à la dissolution amiable, la société est radiée du registre du commerce et des sociétés en cours d’instance. En avril 2019, le tribunal de grande instance de Caen prononce la condamnation de la société, mais celle-ci interjette appel du jugement.

    Par ordonnance du 31 juillet 2019, le tribunal de commerce de Caen désigne un mandataire chargé de représenter la société immobilière. Rappelons que la désignation d’un mandataire dans une instance en cours n’a rien d’étonnant depuis une jurisprudence constante en ce sens[1].

    Par une décision en date du 21 janvier 2021, la Cour d’appel de Caen déclare nul l’appel de la société pour défaut de capacité d’ester. Elle relève que la société n’avait plus d’existence légale au jour de sa déclaration d’appel en raison de sa radiation au RCS et que cette irrégularité ne pouvait pas être régularisée par la désignation d’un mandataire.

    Au visa de l’article L.237-2 du Code de commerce, la Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond en rappelant que « la personnalité morale d’une société dissoute subsiste aussi longtemps que ses droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés ». En l’espèce, l’action exercée contre la société au titre du bail révélait que les droits et obligations nés de ce contrat étaient susceptibles de ne pas avoir été intégralement liquidés, ce dont il résultait la survie de la personnalité morale de cette société pour les besoins de leur liquidation, en dépit de sa radiation au RCS.

    Si la dissolution emporte des conséquences sur les pouvoirs des dirigeants en fonction au moment de l’ouverture de la procédure, elle est en revanche sans effet sur la personnalité morale de la société. Le principe de la survie de la personnalité morale pour les besoins de sa liquidation est énoncé aussi bien à l’article 1844-8, alinéa 3 du Code civil qu’à l’article L.237-2 alinéa 2 du Code de commerce.

    Alors Aristote, avec toute sa sagacité, avait bien raison : la répétition est bel et bien la mère de l’apprentissage.

    Dorian GABORY

     

    Sources :

    • RAVEL D’ESCLAPON Thibault de, « Dissolution sociétés », [en ligne], Répertoire de droit des sociétés, Dalloz, janvier 2022 (mise à jour : octobre 2023) [consulté le 30 octobre 2023]. https://www.dalloz.fr

    • LAVIELLE Clara, « Capacité d’agir en justice d’une société dissoute : application de la théorie de la survie de la personnalité morale », [en ligne], Revues droit des sociétés, Lexis 360, n°11 du 01 novembre 2023, [consulté le 30 octobre 2023]. https://lexis360intelligence.fr

    • PERRIN Maxime, « Une société dissoute peut-elle former appel à l’encontre d’une décision de justice ? » [en ligne], octobre 2023, [consulté le 25 octobre 2023]. https://www.maxenceperrinavocatdijon.fr/
     

    [1] Cass. 3e civ. 31 mai 2000 98-19.435